Pourquoi parler des burgets ? Ces entrées de caves, qui donnent sur la rue… Que nous disent-ils de nos villes d’hier ? Et ces villes d’hier, qu’ont elles à nous raconter sur notre société d’aujourd’hui ? Ces burgets sont les témoins d’une double histoire. Celle d’un patrimoine qui participe au charme de nos vieilles rues dans le Vieux-Lille, à Valenciennes ou autour des places comme à Arras… Une autre, plus difficile, qui nous parle des conditions de vie d’une population misérable dans les anciennes cités industrielles. Entre les deux, ces burgets ont été aussi des piédestaux colorés et irrévérencieux où s’affichent les enseignes et les publicités accrocheuses des marchands.

Descente dans les profondeurs des burgets d’autrefois

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Les portes des burgets sont quelquefois décorées ou, plus rarement, ornées d’initiales

Revenons au XIXe siècle. Si certains auteurs se mobilisent pour que les burgets ne disparaissent pas, d’autres décrivent par le détail la réalité d’une misère qui entasse pêle-mêle hommes, femmes et enfants dans les caves des quartiers populaires. L’afflux de main d’œuvre, le manque de place, le manque d’argent, les conditions et les cadences de travail jettent la population la plus pauvre dans les moindres recoins, même insalubres, des villes.

Ouvrons un instant les battants de ces burgets, et descendons quelques marches … Relisons les témoignages laissés sur la réalité des caves surpeuplées.

” Les caves se trouvent en très grand nombre dans des rues étroites, obscures, où s’entasse une population nombreuse et malpropre, et où l’air ne peut se renouveler facilement. Leur entrée, à fleur du sol, reçoit l’eau des pluies, soit directement, soit par le débordement des ruisseaux ; cette eau descend sur les marches, jusque sur le sol et y entretient une humidité constante. En hiver, en automne et pendant une bonne partie du printemps , il y règne un froid humide, combattu par les habitants au moyen de petits foyers alimentés par de la braise ; et comme bon nombre de ces caves n’ont pas de cheminée, il s’y dégage des gaz délétères qui accroissent encore l’impureté de l’air qu’on y respire… Presque toutes sont creusées à une profondeur qui dépasse souvent deux mètres. .. Et, dans bon nombre , le soleil ne pénètre jamais. …” Extrait de la commission des logements insalubres, par Abel Joire, Lille 1864.

Quand l’hygiène devient politique

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Découvrez le discours écrit par Victor Hugo, en 1851, sur les conditions de vie dans les caves de Lille

Le XIXe industriel est celui aussi des considérations hygiéniques, sanitaires et sociales. A partir de 1830,  médecins, politiques, écrivains, dont Victor Hugo, qui connaît bien le Nord (cf notre article sur le banc de Victor Hugo à Marquise)  prennent conscience et se mobilisent. Le 13 avril 1850, l’Assemblée législative vote une loi sur le logement insalubre. Les considérations de santé publique sont aussi, sinon, encore davantage des considérations d’ordre moral, économique et de paix sociale : de bonnes conditions de vie favorise la bonne condition physique nécessaire à l’ouvrier pour mener à bien son travail. Un foyer malpropre, repoussant, le fait fuir dans les cafés et les estaminets. Là où, non seulement, il dilapide l’argent du foyer, entraînant un peu plus sa famille dans la misère, mais, surtout où circulent des idées considérées comme subversives : Gustave Delory, Henri Carette, grands leaders socialistes des années 1880-1890,  ne sont-ils pas des tenanciers d’estaminet ou de cabaret ?

Un esprit sain, dans un corps sain au sein d’une famille saine. Ces trois piliers de l’ordre social vont façonner les préceptes architecturaux des phalanstères et cités ouvrières dont nous avons de remarquables exemples dans notre région. Car, ce qu’il y a de passionnant dans l’architecture, quelle qu’elle soit, c’ est qu’elle est une véritable grammaire sociale qui en dit long sur la notion d’ordre et la politique d’une époque.

La circulation de l’air, la lumière, la question de l’eau,  de l’intimité, la répartition des pièces du foyer, l’apprentissage des jeunes filles dans les écoles ménagères, les lieux de réjouissance organisée,  l’agencement des espaces où chacun est chez soi mais sous les yeux de tous… deviennent des préceptes architecturaux et sociaux qui vont façonner le nouveau visage des villes et de l’habitat urbain : on perce des avenues larges et droites, on démolit les rues étroites et les cours surchargées, on créé des jardins publics considérés comme de “vastes foyers d’assainissement de l’atmosphère”. “L ‘air pur de la campagne” fait bouger chaque dimanche la population citadine : les plus aisés vers leur “maison de plaisance”, les plus humbles vers les guinguettes des faubourgs proches … souvent baptisées du joli nom de “ma campagne” ! S’aérer dit-on aujourd’hui …

La disparition des burgets frappés d’alignement

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Les burgets de la Grand’Place d’Arras

Le “bric à brac” médiéval doit disparaître… Plus rien ne doit dépasser dans ces villes “nouvelles” qui entendent lutter contre les fouillis en pierre, en bois, en fer, en osier qui font déborder les magasins et les maisons particulières sur la voie publique, un espace de plus en plus réglementé. Étiquetés “danger public”, les burgets vont devoir être plus discrets : finis les parties saillantes, les trappes grandes ouvertes où le promeneur étourdi ou maladroit risque de tomber à chaque pas ! Les marches plongeantes telles qu’on peut encore les voir autour de la Grand’Place d’Arras, par exemple, sont tout juste tolérées. Et encore… Elles font l’objet de luttes acharnées pour survivre.

Ces burgets que nous remarquons à peine sont ainsi les témoins des chemins des idées, des courants qui ont marqué l’ urbanisme, l’habitat, la société qui est la nôtre aujourd’hui. Des petites trappes d’histoire,  qu’on peut ouvrir ou refermer le temps d’une balade en se laissant juste porter par le charme de nos vieilles rues pavées…