L‘immensité du Mémorial canadien de Vimy, dressé sur les hauteurs de l’Artois est saisissante. On ne peut pas s’approcher sans ressentir la gravité de l’endroit. Une gravité empreinte de calme. L’amplitude d’un silence qui devient intérieur. Il n’y a ni mélancolie, ni tristesse. Juste un sentiment de respect et de beauté pour ce site grandiose, parmi les plus imposants et les plus émouvants du Nord et Pas-de-Calais. Mais ce n’est pas le seul attrait. Le mémorial se compose de plusieurs sites à découvrir autour du monument : le centre d’interprétation, le parc commémoratif du Centenaire, les tranchées à ciel ouvert et les galeries souterraines conservées.
La bataille de Vimy ou l’impossible exploit des troupes canadiennes
Nous sommes au sommet de la cote 145, sur la crête de Vimy. Presque à mi-chemin entre Arras à une douzaine de kilomètres, et Lens à moins de dix. C’est là que du 9 avril 1917, à l’aube, quatre régiments canadiens, soit plus de 35 000 hommes se lancent à l’assaut des troupes allemandes. La grande offensive alliée voulue par Joffre puis par Nivelle commence ici, à Arras. Le 12 avril au soir, la position, jusqu’ici imprenable, est aux mains des Canadiens, mais à quel prix: plus de 10 600 tués et blessés côté alliés, probablement autant côté allemand.
La bataille de Vimy fait date dans l’histoire à plus d’un titre : L’exploit d’avoir réussi à déloger les troupes allemandes, mission impossible jusque-là. L’occupation d’une position stratégique dominant la plaine, les positions ennemies et les gisements miniers proches. Enfin, un sentiment de fierté nationale considéré par de nombreux historiens, comme un des épisodes fondateurs de l’indépendance du Canada.
Cette bataille qui a mené à la victoire des troupes canadiennes pour la première fois réunies a insufflé un véritable esprit de nation. Elle vaudra au Canada, alors dans l’empire britannique, de signer en son nom propre le traité de paix de Versailles qui met un terme final à la guerre.
Le 7 mars 1917, un certain Adolf Hitler, arrive dans le contingent des soldats allemands déployés à Vimy. Revanche sur l’histoire, il y reviendra triomphant, pour une courte visite le 2 juin 1940. Vainqueurs et vaincus gardent de la grande guerre plus que du respect. Le Führer fera garder le mémorial pour le préserver des détériorations de ses propres troupes.
Entrez au coeur de la bataille
Le Mémorial canadien de Vimy, un rêve en terre canadienne
On ne le sait peut-être pas toujours, mais lorsqu’on se promène dans les allées du Mémorial de Vimy, nous sommes en terre canadienne. La centaine d’hectares qui l’entourent a été cédée, à perpétuité, par la France au Canada en 1922. Un hommage à l’héroïsme et à l’engagement de ses combattants lors de la Première Guerre mondiale. Pour les Canadiens, Vimy est considéré comme un lieu historique national, le plus important site commémoratif en Europe. Très vite, le Canada décide d’élever un mémorial. Sa réalisation est confiée à l’architecte et sculpteur canadien Walter Seymour Allward. Son projet est audacieux, singulier, il tranche avec l’esthétique et l’architecture commémorative en vigueur. Il dira plus tard que son inspiration vient d’un rêve qu’il fait pendant la guerre.
“Un soir, durant la guerre, je suis allé au lit l’esprit tourmenté après avoir longuement pensé à la boue et à la misère qui existaient en France, où la situation était alors au pire… J’ai rêvé que j’étais sur un immense champ de bataille, je voyais mes hommes s’engouffrer par milliers et être fauchés par la mort. Ne pouvant en supporter davantage, je tournai les yeux et aperçu une avenue bordée de peupliers. Et dans cette avenue, des milliers d’hommes arrivaient à la rencontre des nôtres. C’étaient les morts qui se levaient en masse, s’alignaient en silence et couraient à l’aide des vivants. Cette impression fut si forte, qu’elle resta avec moi pendant des mois. Sans les morts, nous étions sans ressources. J’ai voulu montrer dans ce monument, élevé en rappel de ceux qui sont tombés, ce que nous leur devons et que jamais nous ne les oublierons.”
Un chantier pharaonique pour un monument hors normes
Dès 1920, le Canada souhaite honorer le souvenir de ses combattants. Plusieurs lieux en Europe sont choisis. Vimy est l’un d’entre eux. Mais Vimy est un champ de bataille gorgé de galeries, de tranchées, d’obus, de mines, de corps ensevelis.
Le Mémorial de Vimy en quelques chiffres
- 1925-1936 : onze ans de travaux
- Une base de 75 m de long sur 10 m de haut
- Hauteur des pylônes : 35 m
- Poids total de l’édifice : 40 000 tonnes
- Budget : 1,5 million de dollars
- Point culminant du mémorial : 110 m
Il reste aujourd’hui sur le site une zone non-accessible qui nous donne une idée du chaos laissé par les combats. Il faudra trois ans pour dégager et déminer une grande partie du site terrain. Onze années supplémentaires seront nécessaires pour creuser une immense fosse, construire une ossature d’acier, couler 15 000 tonnes de béton, acheminer 5 000 tonnes de blocs de pierre extraits d’une carrière croate puis taillés sur place.
Il sera inauguré le 26 juillet 1936 en présence du roi Édouard VIII du Royaume-Uni et Albert Lebrun, président français. Les commentateurs de l’époque ont salué l’extraordinaire symbole de Paix du Mémorial, espérant que la furie guerrière de la Première Guerre mondiale était désormais loin derrière eux. Il faisait beau ce jour-là… L’avenir allait être tout autre.
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La composition architecturale du Mémorial canadien de Vimy
Chaque détail a été pensé pour que notre regard et nos pas soient une perpétuelle élévation : la hauteur naturelle de la crête amplifiée par le monument, le tracé rectiligne des allées, ces deux immenses pylônes dressés, les marches qui l’entourent, la dimension des statues qui nous dominent… Une élévation dans le plus grand dénuement : le caractère isolé du site, le dépouillement des abords, la simplicité voire la sévérité de l’architecture aux lignes droites, épurées. Ici, tout est perspective, tout est symbole. La distribution horizontale et verticale des lignes qui tracent implicitement une immense croix. Les couleurs venant exclusivement du ciel et de la terre sont en contraste permanent avec la blancheur et la surface lisse de la pierre. Une blancheur lumineuse qui tient à la fois de la pureté et du linceul …
Une vingtaine de statues ornent le mémorial dont le symbolisme est sujet à discussion. Si l’architecte a donné quelques indications, il n’a pas donné toutes les clés. Allégories, symboles cachés… Les pistes ne manquent pas et se révèlent passionnantes. Elles traversent une œuvre qui, au premier coup d’œil, peut s’avérer académique. Ce qu’elle n’est pas uniquement. Walter Seymour Allward, comme beaucoup d’artistes contemporains, est nourri de culture et d’art classique. Mais il est aussi fortement influencé par l’esthétisme de l’Art Déco et du Modernisme européen.
Les figures, les allégories, les formes sont antiques, mais le traitement artistique, lui, est moderniste. Les os et les muscles sont saillants, vigoureux. Même ceux des femmes qui peuvent s’avérer presque virils dans leurs traits. Regardez les veines des mains saillantes, l’ossature apparente, les muscles prédominants. Les corps sont sans artifice, sans volonté de grâce. Le visage est sévère, creusé, douloureux. Même la nudité des poitrines n’échappe pas à une vision qui se veut avant tout réaliste et abrupte.
Des sculptures comme messages et symboles
Les gardiens de l’escalier Sud
Un homme et une femme à demi allongés se tiennent de part et d’autre de l’escalier. Ils semblent absents, absorbés dans leurs pensées, absorbés par leur douleur, fermés et indifférents à tout ce qui les entoure. Un homme et une femme dont la posture, la tête accoudée sur une main n’est pas sans rappeler le penseur de Rodin, mais aussi et surtout, la figure des “Douleur et Méditerranée” sculptées maintes et maintes fois dans les années 1910-1920 par Aristide Maillol. Comme beaucoup d’artistes outre-atlantique, Walter Seymour Allward est largement influencé par ces deux grands maîtres.
La pleureuse
L’immense statue, réalisée d’un seul bloc, est tournée vers la plaine, à l’Est, d’où le soleil – un nouveau jour – se lève. Derrière elle, le mémorial. Elle se tient tout au bord, en équilibre, regardant le vide à ses pieds. Sa tête est penchée, soutenue d’une main. Une nouvelle fois, le même geste de douleur. Elle sert une palme de laurier. Un symbole souvent présent dans l’architecture commémorative et funéraire. Symbole à la fois de victoire et de récompense. Cette femme représente la nation canadienne qui pleure ses fils tombés au combat. Vous remarquerez l’extraordinaire drapé de sa robe qui s’étire le long du rebord de pierre.
Les défenseurs
Aux pieds des deux escaliers Nord-Est, on distingue deux ensembles désignés comme “les défenseurs”. D’un côté, trois hommes, deux, les bras croisés regardant avec fierté vers le ciel, le troisième penché vers le sol, brisant l’épée qu’il tient à la main. On peut y voir la volonté d’un avenir de paix. Les hommes sont encore debout, à leurs pieds, le glaive du combat qu’il faut briser pour que cesse, à jamais, le bruit des armes et le cortège de malheurs.
Quatre personnages composent le second ensemble. Un homme tend son torse en ultime rempart à ceux qui sont à terre. Ils sont un hommage aux victimes civiles de la guerre.
Au-dessus, on voit la gueule d’un canon, orné des branches d’olivier et de laurier, en signe de paix et de victoire. Sur le socle, le nom des 11 285 soldats canadiens portés disparus durant le conflit.
Le chœur du Mémorial
Le chœur avec ses deux immenses pylônes, hauts de 35 m, qui se détachent dans le ciel occupe la partie la plus haute du monument. De façon factuelle, l’un symbolise l’armée canadienne, l’autre, l’armée française et les deux continents à la fois séparés et réunis par les combats menés ensemble et la mémoire des victimes. Mais, d’autres interprétations ont cours. Celle de l’image d’une porte étroite qui mènerait des combats à la victoire, de la mort à la vie éternelle, de la souffrance à la paix… La forme rappelle aussi une flèche, pointée vers le ciel. Mais une flèche fendue au centre qui crée ainsi un puits de lumière inondant les vertus, les hommes et leurs idéaux. Les deux pylônes proposent un mouvement inversé, un mouvement d’échange entre le ciel et la terre.
Six statues ornent, en face-à-face, la partie supérieure : sur le pylône de gauche, lorsqu’on se tient face à lui, l’Espérance, la Foi et la Justice appuyée sur une épée. À droite, la charité, l’Honneur et la Paix brandissant vers le ciel un rameau d’olivier. Arrêtons-nous un instant sur ces allégories qui comprennent les trois vertus théologales que sont l’espoir ou l’Espérance, la Foi et la Charité. Dans la foi chrétienne, elles guident l’Homme dans son rapport à ses semblables et à Dieu. Tour en haut d’un pylône, on voit une femme portant un glaive. Il peut avoir un double sens, très intéressant : il peut désigner la justice, mais aussi la force. Qui des deux fait face à la paix ? Qui des deux est l’autre pilier de notre liberté ? La justice ou la force ? Walter Seymour Allward nous invite-t-il à nous poser cette question ?
Les coquelicots, de la fleur des champs au champ de bataille…
Aux pieds de ces vertus et de ces idéaux, deux hommes : l’un, les bras en croix, dans une position christique, qui tient de l’agonie et do sacrifice. L’autre, debout, levant, vers le ciel et les vertus, dont certaines le regardent, un flambeau enflammé. Un flambeau, symbole de victoire, de transmission, mais aussi d’humanité, de Liberté tel celui de la statue de la Liberté éclairant le Monde. Une image indissociable de la flamme, qui porte le souvenir, la transcendance, la renaissance, l’élévation. L’ensemble fait référence au célèbre poème, In Flanders Fields, “Au champ d’honneur “ou littéralement, dans les champs de Flandre en Français. Publié en 1915, le poème de John McCrae, connaît un succès fulgurant. Il devient à la fois un hymne au courage qui servira la propagande de recrutement de jeunes soldats durant le conflit.
Dans le poème, l’auteur évoque les coquelicots qui fleurissent sur les tombes. Les seules fleurs à pousser sur un champ de bataille. Rapidement, dès les années 20, ils deviendront l’emblème du souvenir. Aujourd’hui encore, le port de coquelicots lors des célébrations de l’armistice est encore très vivant. Raison pour laquelle vous verrez souvent des coquelicots posés sur le mémorial.
Le mémorial de Vimy a conservé des vestiges du champ de bataille
Une des singularités du Mémorial canadien de Vimy est d’avoir conservé des cratères, des tranchées et une partie du système de galeries souterraines qui offrent une plongée unique dans l’univers des combats qui se sont déroulés ici. Vous pouvez ainsi parcourir à ciel ouvert les boyaux où soldats canadiens et allemands vont se faire face à une poignée de mètres seulement.
Enfin, n’hésitez pas à descendre sous terre et plongez dans l’étroit tunnel qui faisait à peine 1,50 m de large à l’origine. Des milliers d’hommes vont y attendre, serrés les uns contre les autres, avant de s’élancer à l’aube du 9 avril 1917.
La zone de combat n’est pas accessible au public. En effet, un grand nombre d’obus non explosés et d’armes sont encore enfouies dans le sol. Il est donc essentiel de respecter la signalisation. Même si aujourd’hui, la nature reprend ses droits, cette forêt singulièrement bosselée est à elle seule le témoin de la fureur de la bataille menée ici.
À noter que tous les 9 avril, le Canada commémore la bataille d’Arras et la prise de la crête de Vimy.
LE MEMORIAL DE VIMY EN PRATIQUE
Le site mémoriel se compose de trois grandes zones proches l’une de l’autre.
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Le mémorial, D 55, 62580 Vimy
Il est en accès libre. Une aire de stationnement est disponible à l’entrée. Les allées sont adaptées aux personnes en situation de handicap. Les toutous ne sont pas autorisés sur l’ensemble du site.
À découvrir également juste à côté de l’aire de stationnement, le parc du centenaire de la Fondation de Vimy Inauguré en novembre 2018. Conçu en cercle, quatre rangées d’arbres évoquent les quatre divisions canadiennes engagées dans la bataille de 1917. Vous pourrez également profiter des nombreux bancs installés sur le pourtour du parc en accès libre.
Découvrez notamment l’étonnante histoire des chênes de Vimy
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Le centre d’accueil et d’éducation du Mémorial national du Canada, route des Canadiens
(D55), 62580 Vimy.
Ce très beau centre est situé un peu en contrebas du mémorial. Une route ombragée avec une voie piétonne, adaptée aux personnes en situation de handicap, relie les deux sites.
À l’extérieur du centre, vous avez un accès libre et gratuit aux tranchées. Des visites guidées gratuites sont organisées pour les galeries souterraines.
Le centre propose des expositions, vidéos, diaporamas retraçant la bataille de Vimy et l’engagement des régiments canadiens. Vous êtes remarquablement accueillis par des jeunes étudiants canadiens qui assurent notamment les visites guidées.
Accès gratuit au centre,
Horaires d’ouverture :
- Mercredi : 12h00 à 13h00 et 14h00 à 18h00
- Du jeudi au dimanche : de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00
Téléphone : 03 21 50 68 68
Le centre est accessible aux personnes en situation de handicap. En revanche, les tranchées et les galeries souterraines ne le sont pas. Les toutous, sauf chiens d’assistance, ne sont pas admis.
Parking gratuit sur place et tables de pique-nique à disposition.
Plus d’infos sur le site Web du mémorial
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Le cimetière canadien no 2, accès via la route des Canadiens (D55), 62580 Vimy
Il commémore le souvenir de 3 000 victimes de la guerre de 1914-1918 dont 378 Canadiens tombés lors de la bataille de la crête de Vimy. Accès libre.
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