Chaque année, le jour de l’Ascension, un grand nombre de fidèles entrent dans l’église de Dompierre-sur-Helpe en tenant à la main de curieux bâtons. La messe, la bénédiction des baguettes de noisetier, les prières puis la procession jusqu’à la fontaine sont à l’adresse de Saint Etton. Le saint protecteur des troupeaux, des animaux du foyer et de tous ceux qui ont du mal à marcher. Un saint encore très vénéré dans cette commune de l’Avesnois.
Des baguettes, des reliques et une eau aux pouvoirs guérisseurs
Nous sommes au cœur de la Thiérache, une terre de bocages où le bétail tenait une place essentielle. Protéger son troupeau, c’était protéger la ressource familiale et donc accorder par là même sa protection à toute la famille et aux biens qu’elle possède.
Dans un temps où la médecine vétérinaire est tout aussi balbutiante, inaccessible, voire impuissante que la médecine humaine, le recours aux saints et aux croyances populaires est une aide précieuse. L’Avesnois, terre de pâturage, a donc réservé à Saint Etton une place de choix parmi les saints « spécialisés » dans la protection du bétail notamment les bovins.
Au fil des transformations sociétales, sa vénération porte aujourd’hui sur tous les animaux domestiques, y compris les petits toutous qui peuvent assister à la messe. Comme tous les grands évangélisateurs, il était aussi un grand marcheur. Une dame m’a confiée venir chaque année faire bénir son bâton de Saint Etton pour la soulager de ses difficultés à marcher. Après tout, ajouta-t-elle, un saint qui aime les animaux nous aime aussi !
Le culte de Saint Etton, un rituel séculaire bien particulier
Chaque jeudi de l’Ascension, une messe réunit les fidèles qui entrent dans l’église Saint-Pierre de Dompierre-sur-Helpe, une voire plusieurs baguettes à la main. Vous pouvez en acheter une, pour quelques euros, juste à l’entrée de l’église. Après la bénédiction des baguettes durant l’office, il est d’usage de se rendre devant le gisant de Saint Etton. Certains passeront simplement la main sur la statue, d’autres leur baguette. On adresse une prière ou quelques mots personnels à l’adresse du saint accompagnés ou non d’une bougie. Ceux qui le souhaitent peuvent également toucher ou simplement s’incliner devant les reliquaires exposés durant cette journée.
Certains témoignages rapportent l’usage de faire trois fois le tour de la nef intérieure en commençant par la gauche. C’est lors du premier et troisième passage, qu’il fallait passer la baguette sur la chasse reliquaire et sur le gisant. Personnellement, je ne l’ai pas constaté. En revanche, la déambulation qui consiste à faire trois fois le tour d’une église, d’une chapelle est assez répandue. Le chiffre « trois », sacré, est riche de symbolique. Il renvoie notamment à la Sainte Trinité, ainsi qu’ aux trois cycles de la vie, naissance, vie et mort.
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Une marche jusqu’à la fontaine miraculeuse Saint-Etton
La procession se dirige ensuite jusqu’à la fontaine située à quelques pas, rue de la Brasserie. Le prêtre bénit la procession et la fontaine puis chacun descend les quelques marches, trempe le bout du bâton dans l’eau en récitant la prière à Saint-Etton. Le jeudi est traditionnellement jour de ducasse à Dompierre-sur-Helpe. La foule des badauds, les stands et les pèlerins se mélangent ainsi allégrement.
La fontaine a été déplacée, couverte et aménagée plusieurs fois au cours des siècles sans pour autant perdre sa place prépondérante et sa symbolique dans le culte rendu à l’évêque irlandais. Il est toujours intéressant de constater combien les changements des lieux de culte originels ne mettent pas un terme à la vénération qui les entoure.
Des baguettes à la fois protectrices et guérisseuses
Une fois bénie et trempée dans l’eau de la fontaine, elle servira une année entière. On passe la baguette de Saint-Etton sur le dos de l’animal à guérir ou à protéger des maladies. Elles étaient autrefois fraîchement cueillies et taillées, mais vous pouvez aussi la faire bénir à nouveau, l’année suivante. Nous touchons là au domaine de la foi et à l’espoir relayé par ces traditions populaires. Chacun comprend que cette démarche ne se substitue pas à un avis et un traitement vétérinaire ou médical approprié. Elle vient seulement l’accompagner.
Pourquoi des baguettes de noisetier décorées d’un motif en forme de spirale ?
La particularité des baguettes de Saint Etton est d’être non seulement en noisetier, mais d’être également décorées d’une spirale créée par l’écorce dénudée. L’emploi du coudrier (noisetier sauvage), l’arbre magique par excellence, l’arbre des sourciers de surcroît semble tout à fait logique. En revanche, on ignore en réalité à quand remonte cette décoration torsadée. Est-ce un signe d’apparat qui permet de distinguer les baguettes de coudriers bénies des baguettes ordinaires qui servent à mener les troupeaux ?
Doit-on voir dans cette spirale le symbole d’une progression qui est à la fois circulaire et ascensionnelle ? Circulaire telle la déambulation à l’intérieur de l’église, ascensionnelle, dans ce jour si particulier de l’Ascension. Matérialise-t-elle ou conduit-elle le pouvoir guérisseur qui passe ainsi du gisant, des reliques et de l’eau jusqu’aux mains des fidèles dans un mouvement perpétuel qui se renouvèle à l’infini ? À noter également qu’elle n’est pas sans rappeler le caducée d’Asklépios et son serpent s’enroulant autour d’un bâton. Un symbole choisi par les autorités médicales qui peut faire écho aux vertus guérisseuses prêtées aux baguettes de Saint Etton.
Les baguettes, un héritage celtique ?
Certains font le lien entre l’usage de la baguette de coudrier et les origines irlandaises de Saint Etton. Hasard ou pas, le noisetier qui appartient aux sept arbres sacrés des druides correspond dans le calendrier celtique à la période allant du 13 juin au 10 juillet. Or Etton meurt un 8 juillet. On relève d’ailleurs plusieurs pratiques peu ou prou identiques dans cette partie du territoire et en Belgique. C’est le cas notamment à Fosses-la-Ville dont le saint Patron Saint Feuillen est contemporain et compagnon de route d’Etton. Le premier dimanche de mai, les fidèles notamment les agriculteurs se rendent à la chapelle Sainte-Brigide. Ils font bénir des baquettes de coudrier, entièrement dénudées, qu’ils vont ensuite frotter sur la statue reliquaire de la sainte. À Sains-lès-Marquion, on frottait autrefois une baguette ou un rameau sur une grille de la chapelle de Sainte Saturnine. On la passait ensuite sur le dos de la bête malade pour la guérir. À Sebourg, le gisant de l’ermitage ou cellule de Saint Druon faisait l’objet d’une vénération identique. Les éleveurs passaient leur baguette sur toute la longueur du gisant puis sur le dos du bétail pour les préserver des épidémies.
Que sait-on de Saint Etton ?
On sait en réalité peu de choses de sa vie. Saint Etton (Héton, Ethon,Eton, Eto), appelé aussi saint Zé ou Saint Zèle serait un des nombreux moines irlandais qui, au VIe et VIIe siècle, vont jouer un rôle primordial dans l’évangélisation du Nord et de la Belgique actuelle. Il est proche notamment de saint Killien, saint vénéré dans l’Artois, et dont la source à Warlincourt-les-Pas continue aujourd’hui d’être réputée pour ses bienfaits.
Il serait né aux environs de 590, dans une famille noble irlandaise. Nommé évêque à Rome par le pape Martin 1er (vers 600-655), il reçoit la mission d’évangéliser l’Artois où ses prêches le mènent d’abord à Bienvillers-au-Bois dans le Pas-de-Calais. Il y fonde un premier monastère. On peut encore voir une pierre dite pierre de Saint-Etton qui lui servait, dit-on, de piédestal durant ses offices. Une statue dressée sur la localité de La Herlière, distante de quelques kilomètres, est le dernier témoin des trois croix qui marquaient les trois arrêts qu’il effectuait pour aller d’un bourg à l’autre. C’est là qu’on situe le premier miracle attribué à Etton où il ressuscita une jeune femme décédée en couches. Ce miracle attira tant les foules qu’il décide de partir à la recherche d’une nouvelle terre plus sauvage.
Son arrivée dans l’Avesnois
Il quitte l’Artois pour le Thiérache et s’installe à Fuchaux, à mi-distance entre Dompierre et Saint-Hilaire-sur-Helpe. Son installation n’est pas sans susciter l’hostilité d’un certain Jovin, propriétaire des terres. Quand il veut se saisir d’Etton, l’histoire raconte que sa main se dessèche aussitôt et reste attachée au manteau du saint. Etton fait alors preuve de mansuétude et redonne au seigneur belliqueux l’usage de sa main. Ce dernier se convertit au christianisme et offre au religieux et à ses compagnons des terres pour la fondation d’un monastère.
Il choisit également de construire un petit ermitage à l’écart de Fuchaux. Cette première chapelle, dédiée à Saint Pierre, dominus Petrus, serait à l’origine du village de Dompierre -sur-Helpe. L’église actuelle, située aujourd’hui en contrebas, remonte pour partie aux XVIe et XVIIe. Etton meurt le 8 juillet 654 à Fussiaux. Commence alors un long combat et un long périple pour sa dépouille. Elle finira, de partage en partage, finira par revenir en petits morceaux à Dompierre-sur-Helpe. Plusieurs reliques sont aujourd’hui encore conservées dans l’église.
Le miracle du bouvier à l’origine d’un pèlerinage millénaire.
Preuve de sa sainteté, on attribue à Etton de nombreux miracles. D’une morte ressuscitée à la guérison d’une jeune femme possédée. Mais, c’est bien celui du jeune bouvier qui va cristalliser toute la ferveur de la population. La légende raconte que le jeune garçon, muet de naissance, s’était endormi près de son troupeau de bovins. Etton s’en approche et du bout de son bâton, le touche pour le réveiller. Le jeune garçon, surpris, se mit aussitôt à parler. On voit ici que l’essentiel n’est pas d’avoir recouvré la parole, mais le rôle de surveillance – et donc de la protection – du troupeau qui incombe au jeune homme. Le bâton de marche du saint homme en le réveillant le ramène à son devoir. Les autorités ecclésiastiques, elles aussi font preuve de pragmatisme. En pays d’éleveurs, d’agriculteurs, la protection de Saint Etton envers les bovins est la plus utile que tout autre bienfait. Elle est si ancrée dans la réalité et les craintes de la vie quotidienne qu’elle va donner naissance à un pèlerinage cité dès le moyen-âge. Il perdure encore de nos jours.
SAINT ETTON EN PRATIQUE
Le gisant est situé dans l’église Saint-Pierre.
La fontaine, en accès libre, est à quelque pas, rue de la Brasserie.
Ducasse annuelle le jeudi de l’Ascension.
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