Poursuivons la découverte des arbres les plus curieux de notre région Nord et Pas-de-Calais par ce tilleul centenaire, témoin d’un rite funéraire assez particulier. L’arbre aux croix d’Aire-sur-la-Lys est en effet un des rares témoignages de la tradition des croisettes funéraires qui nous soit parvenu.
L’arbre aux croix d’Aire-sur-la-Lys, dans le sillage des arbres sacrés
Le rapport de la chrétienté aux arbres et aux cultes “païens” dont ils faisaient l’objet a toujours été compliqué. A partir du IVe siècle, conciles, théologiens et prédicateurs n’ont de cesse de les condamner et les abattre. Une attitude d’ailleurs identique pour le culte des pierres et des eaux, tout aussi ancrées dans les croyances et pratiques populaires. Faute de vaincre et de convaincre, l’Église a adopté une stratégie du “remplacement”. Elle christianise les anciennes divinités païennes par des reliques, des statues, des chapelles, des niches dédiées à la Vierge Marie ou aux saints. Le culte aux pierres aux fontaines et aux arbres a perduré, mais sous une légitimité plus acceptable pour l’Église.
Les croisettes, une survivance d’anciens cultes funéraires
La tradition de déposer de petites croix ou croisettes au pied d’un calvaire, d’un arbre, d’une chapelle situés notamment à un carrefour qu’emprunte le cortège funèbre semble avoir été partagée par de nombreuses régions (Pyrénées, Limousin, Beauce, Anjou, Bretagne etc.). Dans le Nord et le Pas-de-Calais, on retrouve des témoignages dans le Calaisis, en Flandre, dans le Boulonnais ou comme ici à Aire-sur-la-Lys en Artois.
Lorsque le convoi funèbre arrive à hauteur de la croix ou du calvaire, l’usage veut que la personne qui dépose la petite croix, s’agenouille. L’assemblée récite alors avec elle une prière ou entonne un « o crux ave ». Les nouvelles croix s’ajoutent aux plus anciennes pour former quelquefois des dépôts importants. En effet, elles ne sont jamais enlevées. Elles peuvent être déposées ou fixées au mur de la chapelle.
A Merck-Saint-Liévin, on dépose les croisettes sous un frêne. A Ecques, le nombre de croisettes déposées au fil des ans est si important qu’il faut installer un ratelier de 2 m de long près d’un calvaire. Des croix sont plantées au pied d’une chapelle sur mât à Morbecque, Joseph Dezitter indique que ces croix sont confectionnées dans la région de Cassel avec les chutes du bois du cercueil. A La Gorgue, elles sont en paille.
Un témoignage daté de 1885 décrit l’arbre aux croix d’Aire-sur-Lys. Il mentionne un vieux tilleul près duquel s’élevait autrefois un calvaire. Le calvaire ayant disparu, la tradition a perduré. A une époque, le nombre de croix était si important qu’il couvrait plus de 2 m2. Plusieurs petite croix pourront être déposées au fur et à mesure de la présence de calvaire ou de chapelles entre le domicile du défunt et l’église.
L’arbre aux croix d’Aire-sur-la-Lys réunit la symbolique de l’arbre et du carrefour
Cependant, on peut remarquer que certains arbres ou certains calvaires font l’objet de cette tradition plus que d’autres. Des arbres ont peut-être remplacé des calvaires disparus, d’autant qu’ils étaient à l’origine en bois. Ils ont aussi accueilli des chapelles dédiées à la Vierge ou à un saint. Mais l’inverse est aussi vrai. Des croix et des calvaires sont venus supplanter un culte plus ancien. En tant que véritable trait d’union entre le ciel et le monde souterrain dans lequel le défunt sera enseveli, il n’est pas étonnant que ces « arbres-calvaires » aient fait l’objet d’autant de dévotion.
Le carrefour est dans les croyances populaires, le lieu de tous les dangers, un lieu maléfique, où se croisent les morts et les vivants : fées, sorcières, diables, brigands, animaux fantastiques s’y cachent, attendant le voyageur pour lui faire peur ou pire encore… Surtout la nuit. Les âmes des défunts reviennent hanter les lieux. Qui sait s’ils ne cherchent pas le chemin de leur demeure. Les croisettes laissées au carrefour sont-elles alors vraiment des offrandes pieuses ou bien des talismans ? Oui, être à la croisée des chemins peut s’avérer fatal. En Flandre, on avait coutume d’accrocher des images de saints ou de saintes aux carrefours pour éloigner les forces maléfiques qui les hantent. Est-ce un hasard si notre région est une de celles qui compte le plus de calvaires et de chapelles ?
Enfin, rappelons que les Romains fêtaient une fois l’an, les Lares protecteurs des carrefours (compitum). Ils avaient pour habitude d’y élever des autels ou des petites chapelles en leur honneur. Une tradition reprise par l’Église qui, elle, érigera des croix, des calvaires, des oratoires et des chapelles.
L’arbre aux croix d’Aire-sur-la-Lys en pratique
- Depuis notre premier passage en 2014, on a replacé des croix en bois et réaménagé l’abord de l’arbre. Il se situe désormais au centre d’un petit rond-point, à l’intersection de la rue d’Isbergues et de la rue de Constantinople dans la zone de la zone commerciale du Val-de-Lys.
- Coordonnées GPS : 50°38’16.72″ N -2°24’43.97″ E
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La chapelle Sainte-Isbergues et sa source miraculeuse
À quelques kilomètres seulement d’Aire-sur-la-Lys, tout au bout d’une allée arborée se cache une jolie petite chapelle. Contournez-la et descendez quelques marches. Vous découvrez en contrebas une margelle aménagée. C’est là qu’on vient puiser une eau réputée bienfaitrice pour soigner les maladies des yeux et de la peau : la source miraculeuse Sainte-Isbergue. Une source qui, dit-on, ne tarit jamais.
Découvrez la source et sa légende
Connaissez-vous également l’arbre aux morts d’Œuf-en-Ternois ?
Nous trouvons un autre témoignage de culte funéraire lié à un arbre, un tilleul, également. Il s’agit de l’arbre aux Morts de d’Œuf-en-Ternois dans le Pas-de-Calais. Vous le trouverez pile au beau milieu du carrefour de la D105 et D101, formant d’ailleurs une croix quasi parfaite. Lorsque qu’un habitant de Guinecourt, village situé à moins de 2 km, venait à décéder, le convoi funéraire qui le menait à Œuf s’arrêtait devant l’arbre. On enfonçait alors une petite croix en bois dans le sol.
Le tilleul d’Œuf-en-Ternois fait partie des arbres à chapelle encore courants dans notre région. La Vierge à l’Enfant à l’intérieur de la niche est récente. La statue originale a disparu. La présence de chapelles accrochées aux arbres témoigne du lien étroit qui existe entre le culte de la Vierge, un des plus anciens, et le culte des arbres.
Par sa double nature, terrestre et céleste, la Vierge Marie intercède et créé un lien entre Dieu et les Hommes… Comme l’arbre qui unit le Ciel et la Terre par ses branches et ses racines. L’arbre, symbole de vie, de renaissance perpétuelle connaît, comme nous, un cycle de mort et de résurrection à travers les saisons. A sa façon, notre mort s’inscrit, elle aussi, dans le cycle de la vie. Cycle d’une vie à la fois terrestre et céleste pour les croyants. Cycles de génération et régénération : les branches de vie se multiplient, au sens propre comme au figuré.
Localisation
- Carrefour de la D105 et D101, prés du château d’eau. Axe routier qui mène d’Oeuf-en-Ternois à Guinecourt, dans le Pas-de-Calais.
4 Commentaires
DOMINIQUE DELABY
bravo pour ce travail
Belle Journée à Vous
Isabelle Duvivier
Bonjour Dominique, un grand merci pour la gentillesse de votre commentaire. Belle journée à vous également.
Minione
Bjr
Quelle belle découverte !
J’aime les arbres de par leur beauté sérénité etc…qu’ils peuvent nous offrir et en plus apprendre leur histoire merci pour cet enrichissement.
Je vais creuser pour voir si je trouve un certain chêne âgé de 302 ans …
Je vais être curieuse et poursuivre la découverte de votre site
Merci à vous
Prenez soin de vous
Isabelle Duvivier
Bonjour, un grand merci pour ces mots. Nous avons en effet la chance de posséder de nombreux arbres étonnants dans notre région. Un précieux patrimoine vivant. Si vos pas vous mènent du côté de Marquise, ne manquez surtout pas le vénérable tilleul de l’église et ses 600 ans fièrement affichés… Ou encore le tilleul du Joncquoy à Aubers d’une poignée d’années son cadet ! Des instants de pure quiétude. Belles promenades à vous.