Nous sommes à Isbergues, à quelques kilomètres d’Aire-sur-la-Lys. Tout au bout d’une allée arborée se cache une jolie petite chapelle. Contournez-la et descendez quelques marches. Vous découvrez en contrebas une margelle aménagée. C’est là qu’on vient puiser une eau réputée bienfaitrice pour soigner les maladies des yeux et de la peau : la source miraculeuse Sainte-Isbergue. Une source qui, dit-on, ne tarit jamais… Et qui, depuis plusieurs siècles, attire toujours de très nombreux croyants. En témoignent les innombrables ex-voto et graffitis qui couvrent les murs. Il y a aussi les familiers qui viennent en prendre pour leurs besoins quotidiens. Car “aller chercher l’eau de Sainte Isbergue” est une tradition qui se transmet de génération en génération.
La rencontre d’une jeune femme et d’un ermite…
Entourée autrefois par la forêt de Wastelau, la source miraculeuse Sainte-Isbergue coule, dit-on, à l’emplacement même où se rencontraient au VIIIe siècle Isbergue, jeune femme pieuse et l’ermite Venant. Il vivait alors retiré au monde, aux abords de la localité de Saint-Venant à laquelle il donna son nom.
Certains disent que c’est Venant lui-même qui fit jaillir l’eau pour étancher la soif de la jeune femme. D’autres que c’est Isbergue qui, frappant le sol de son pied, fit sourdre la source pour le saint homme. Car cet ancien militaire, touché par la foi après une grave blessure à la jambe, vivait désormais à l’écart du monde. Devenu le directeur de conscience d’Isbergue, il l’encouragera dans son vœu de virginité et de vie pieuse… Décision qu’il paiera de sa vie.
Un vœu exaucé… Mais à quel prix
En effet, Isbergue, fidèle à son vœu, refuse l’idée même de mariage. Mais, être la fille de Pépin le Bref, lui impose des devoirs parmi lesquels épouser un homme de son rang et forger des alliances. Lorsqu’un prince anglais demande sa main, elle exige un jour de réflexion. Un jour qu’elle passe en prière pour implorer le ciel qu’il lui vienne en aide. Seule solution qu’elle devienne si repoussante que son prétendant se détournera d’elle.
Son vœu est exhaussé. La jeune fille est soudain frappée par une maladie qui ressemble à la lèpre. La voyant ainsi défigurée, le prétendant renonce, on s’en doute, à l’épouser. Il se venge en faisant assassiner Venant qu’il rend responsable. Des hommes du Prince font alors courir le bruit qu’il détient dans son ermitage des objets de valeur. Des brigands ne tardent pas à s’attaquer à lui pour prendre le butin. Ne trouvant rien, ils le tuent et jettent son corps dans la Lys.
La singulière guérison d’Isbergue
Reste à la jeune femme qui souffre le martyre à guérir. Une apparition céleste lui adresse bientôt le message qu’elle retrouvera la santé en mangeant le premier poisson pêché dans la Lys. Les efforts déployés par les serviteurs du roi sont vains. Aucun poisson n’est remonté dans les filets. C’est alors, qu’au moment d’abandonner, ils aperçoivent une masse à la surface de l’eau. Ils s’en approchent. C’est le corps d’un homme décapité. En l’allongeant dans la barque, ils découvrent une anguille cachée au milieu des herbes qui entourent le cadavre. Faute de poisson, ils s’empressent de la porter à Isbergue qui la mange sans rechigner. Et la jeune femme retrouve aussitôt sa beauté.
La naissance de deux saints guérisseurs
On identifie Venant grâce à une femme aveugle qui ayant soigné de nombreuses fois sa jambe blessée reconnaît au toucher la cicatrice. Premier prodige, elle recouvre la vue. Quant à la tête du saint, elle ne sera retrouvée que quelques jours plus tard. Dès lors, au contact du corps de l’ermite, les miracles s’opèrent. Saint Venant donne ainsi naissance à un culte très populaire.
Quant à Isbergue, après avoir échappé à plusieurs demandes en mariage, elle décide de prendre le voile. Elle se retire dans un monastère qu’elle fonde à Aire-sur-la-Lys, au sein de l’ancien palais de son père. Elle décède le 21 mai 806, date qui marque depuis lors le début de la traditionnelle neuvaine. Son corps est inhumé dans l’église Saint-Pierre d’Isbergues juste au-dessus du tombeau de saint Venant.
La petite chapelle et sa source deviennent ainsi un lieu de pèlerinage important pour l’un et l’autre des deux saints. Parmi les ex-voto laissés en honneur de Saint Venant et Sainte Isbergue, on voyait notamment de nombreux bâtons et béquilles.
De la montagne de Gisèle à la ville d’Isbergue
Passer du nom de Gisèle à Isbergue n’est pas, pour ses biographes, une mince affaire. Et il faut des contorsions phonétiques immenses pour retrouver le fil d’origine. C’est ainsi que la renommée de cette sainte fit rapidement désigner le lieu comme “la montagne de Gisèle” (“gisele-berg”) en Flamand. La disparition du “G” initial donna rapidement Isle-berg, Islbergh pour finir en Isbergue. L’épopée du nom de la localité en même temps que celui de la sainte continue jusqu’à nos jours où vous constaterez que le “s” final n’a pas toujours été de rigueur. Il est désormais réservé à la ville pour la différencier de la sainte. Les plaques accrochées aux murs témoignent d’ailleurs des deux orthographes.
Mais qui est vraiment Isbergue ?
Il est en fait fort peu probable qu’Isbergue soit la fille de Pépin le Bref et de Berthe aux grands pieds, sœur donc de Charlemagne. Car la “vraie” Gisela ou Gisèle (757-810) serait morte à l’abbaye royale de Chelles près de Paris. Et non à Aire-sur-la-Lys comme notre noble dame d’ici.
L’histoire a sans doute pris quelques largesses avec la réalité. Son hagiographie aussi, calquée sur un schéma narratif commun à de nombreuses saintes qui ont fui époux et mariage. Et des saints qui perdent leur tête. C’est une évidence. Citons Sainte Saturnine à Sains-lès-Marquion, sainte Wilgeforte à Wissant ou Sainte Godeleine à Wierre-Effroy. N’oublions pas l’effort entrepris par l’Église pour se réapproprier ces lieux de culte “païens” ancestraux que sont les fontaines, les arbres, les pierres. En rattachant ainsi l’héroïne de la légende à une lignée de souverains chrétiens, on place la source miraculeuse Sainte-Isbergue sous l’égide de la Foi et de la France. Les croyances s’incarnent alors à travers une histoire édifiante qui vient expliquer l’inexplicable.
Étonnante anguille salvatrice
Reste une singularité dans le récit de sainte Isbergue. Rappelez-vous, elle doit manger le 1er poisson pêché dans la Lys. En fait de poisson, la jeune femme mangera une anguille trouvée sur le corps d’un cadavre flottant au fil de l’eau… L’histoire est peu ragoûtante, il faut l’avouer. Et pas banale. Car si le poisson et le pêcheur sont des symboles chrétiens par excellence, la représentation de l’anguille, elle, est extrêmement rare.
Cet animal à mi-chemin entre le poisson et serpent est par son côté insaisissable, du côté du mal, de la fourberie, de la tromperie. En revanche, par sa capacité à survivre longtemps hors de l’eau, sa résistance, il devient un symbole de vigueur, de vie, de survie. Dans le récit, l’anguille symbolise donc tout à la fois la duperie du prétendant, la violence fatale des voleurs mais aussi la foi qui survit à la mort de Venant. Foi qui va guérir Isbergue et la “nourrir” toute sa vie. Sans oublier que l’anguille est autrefois un aliment des pauvres. Sans doute souligne-t-on ainsi la grande humilité et simplicité de la jeune femme pourtant de haut rang.
Savez-vous qu’il existe une seconde source miraculeuse Sainte-Isbergue ?
Il existe en effet une autre source Sainte-isbergue dans le Pas-de-Calais. Elle coule au pied de la petite chapelle qui se situe juste derrière l’église Saint-Omer de Menneville dans le boulonnais. L’eau de cette fontaine aurait la vertu de guérir les maladies des yeux.
La source miraculeuse Sainte-Isbergue en pratique
- Neuvaine : du 21 au 29 mai
- Localisation : Rue Arthur-Lamendin, 62330 Isbergues
- Accès libre
- Attention : l’accès à la source n’est possible que par deux grands escaliers de part et d’autre de la chapelle
- Parking gratuit en face de la chapelle
- Le site de la ville
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