Il y a des lieux qui vous enveloppent et vous séduisent, à peine arrivé. Le charme d’un vallon verdoyant, une petite chapelle au milieu des arbres, une légende pour histoire… Et le mystère d’une source miraculeuse. On vient ici depuis des siècles puiser une eau qui soigne, dit-on, les maladies des yeux. On vient aussi faire une prière pour que son couple se réconcilie. Étrange mélange de sens… Mais ne dit-on pas que l’amour rend aveugle? Nous sommes à la chapelle Sainte Godeleine à Wierre-Effroy, dans le Pas-de-Calais. Que vous veniez pour la source, faire une halte à l’ombre des arbres ou prendre un verre dans la petite auberge juste à côté. L’endroit vous plaira, j’en suis sûre.
La source miraculeuse de Sainte-Godeleine
Tout au long de l’année, des milliers de visiteurs viennent chercher l’eau de la source réputée guérir les maladies des yeux. Des couples viennent prier un instant et allumer un cierge pour préserver ou retrouver l’harmonie. Certains, pour que l’amour revienne dans leur vie. La chapelle de Sainte Godeleine fait notamment partie des singulières chapelles à loques. On accroche à la grille de l’autel un objet, un linge, un bijou, dans l’espoir d’une guérison, d’un vœu exaucé ou en remerciement. Les centaines d’ex votos et de plaques qui couvrent les murs montrent à quel point la chapelle Sainte-Godeleine est un pèlerinage encore particulièrement vivant. Rares sont les instants où vous êtes seuls. Pourtant, rien ne trouble jamais la tranquillité du lieu.
Comment cette source est-elle devenue miraculeuse ?
Mais qui était Sainte Godeleine ? Pourquoi cette source est-elle réputée miraculeuse ? Pourquoi l’invoque-t-on à la fois pour les maladies des yeux et pour les couples en difficulté ? Autant de questions posées et de réponses à trouver dans sa biographie, ou plutôt son hagiographie. On découvre ainsi les récits un peu vrais – et très légendaires – de cette sainte qui fut avant tout une jeune femme au destin tragique. Les légendes portent toujours une part de vérité. Pas forcément celle des faits mais du sens des faits.
Suivons donc les pas de Godeleine, cette jeune femme si pieuse et si soumise à son mari, à sa belle-mère et à Dieu. Sa vie, a-t-elle nourri la légende ou la légende a-t-elle écrit sa vie ? Tout est question de croyance, de curiosité, d’envie aussi de se laisser aller sur le flot des récits merveilleux. Des parenthèses d’histoire pour certains, de foi pour d’autres. Entrons maintenant dans ce si joli endroit et penchons-nous sur la source qui coule dans la petite chapelle de Wierre-Effroy.
L’histoire de la demoiselle de Londefort
Godeleine, Godelina, Godelieve, Godeliève de Gistel, s’est selon, est née vers 1049, ici, à Wierre-Effroy. Elle est la fille du châtelain de Londefort, dont le manoir s’élève alors à quelques pas de la source. Sa beauté n’a d’égal que sa foi. Son unique volonté est de se consacrer à Dieu et aux plus démunis. Hélas, pour elle, en grandissant, sa beauté devient un objet de convoitise et attire nombre de soupirants. L’un d’eux, Bertolf de Gistel, est plus tenace que les autres. Les refus de la jeune femme ne le découragent pas … Bien au contraire. Il fait jouer toutes ses relations, dont le comte de Boulogne, suzerain du père de Godeleine. La jeune fille comprend qu’elle doit céder et accepte de l’épouser.
Mais, le jour même du mariage, l’attitude de Bertolf change du tout au tout. Froid, lointain, méprisant, il se désintéresse totalement de sa jeune épouse. Il fait accélérer le départ vers son château de Gistel, près d’Ostende, dans les Flandres belges. C’est alors en quittant le manoir de son père qu’elle plante une quenouille dans le petit bois … Triste présage ou bienheureux miracle … Une source en jaillit. Celle à laquelle nous puisons l’eau aujourd’hui.
Le début d’un long calvaire…
À partir de cet instant, Godeleine va vivre l’enfer. Enfermée, affamée, humiliée, battue, elle est la proie de son ombrageux mari et de sa belle-mère. Une femme qui nourrit une haine féroce pour celle qui, officiellement, lui prend sa place. Godeleine dépérit, elle décide de s’échapper et de chercher refuge, chez ses parents, au manoir de Londefort. Le scandale éclate et Bertolf de Gistel échappe de peu à l’opprobre général. Il fait amende honorable, se repent, jure à Godeleine, à ses parents et aux autorités ecclésiastiques mécontentes qu’il regrette sincèrement. Il promet désormais d’avoir une conduite irréprochable vis-à-vis de sa jeune épouse. Inquiète, mais prête à pardonner, la jeune femme repart à Gistel.
En réalité, la haine profonde de son mari, alimentée par l’humiliation des réprimandes qu’il a subi, est encore pire. Cette fois, la solution pour se débarrasser de Godeleine va être plus radicale. Il imagine un stratagème : lui faire croire qu’il a demandé les services d’une ” femme qui a le secret de renouer les liens conjugaux rompus, de faire revivre parmi les époux l’amitié la plus vive”. Godeleine devra donc la rencontrer en secret, une nuit où lui, Bertolf, ne doit pas être là. Le 6 juillet 1070 à l’aube, les deux hommes de main chargés de sa surveillance viennent réveiller Godeleine. Elle doit se rendre au rendez-vous sans apparat, dans ses vêtements de nuit… Et en toute discrétion. Une fois sortis du château, ils l’emmènent vers un point d’eau, et là, l’étrangle et la noie. Elle n’a que 21 ans. Son corps est ramené en secret jusqu’à sa chambre.
Le scénario est simple, tout doit faire penser à une mort subite. Bertolf s’est forgé un alibi, il est à Bruges. L’époux peut donc revenir en veuf éploré et répandre moult sanglots. Il prend soin toutefois de la faire inhumer en hâte, dès le lendemain, dans un caveau de l’église de Gistel.
L’histoire aurait pu s’arrêter là … Mais elle ne fait que commencer.
Les premiers miracles de Sainte Godeleine
La jeune femme s’est débattu et du sang a coulé à l’endroit où elle a été tuée. Dès les premiers instants, on raconte que le sol sous ses pieds se change alors en marbre blanc, attestant ainsi de sa pureté. Car, dans son dégoût immense pour sa jeune femme, Bertolf de Gistel, à aucun moment, ne consomma le mariage. Lors des obsèques, un autre miracle se produit. La renommée de Godeleine, sa gentillesse et sa charité envers les plus pauvres étaient telle, qu’une foule immense se déplace. Comme à l’accoutumée, on distribue des pains aux plus démunis. Lorsqu’ils commencent à manquer, ils se multiplient pour permettre à chacun d’en recevoir. On comprend la filiation de cet épisode. Son tombeau puis l’eau dans laquelle Godeleine fut noyée commencent à attirer des infirmes et des malades. Il s’y produit très rapidement des miracles dit-on …
La punition d’un père pour le crime d’un mari
Bertolf de Gistel, le soi-disant-veuf-très-éploré, s’est vite consolé. Aussitôt remarié, il est rapidement père. Punition divine ou hasard : Sa fille, Édith, vient au monde aveugle. En grandissant, elle apprend qu’à quelques pas du château, coule une eau miraculeuse qui fait bien des prodiges… Elle s’y rend en secret, prend un peu d’eau pour la passer sur ses yeux … Aussitôt, la jeune fille recouvre la vue. L’histoire ne dit pas ce qu’en pensa son père … Mais l’eau de l’étang de Gistel, ou du puits, selon les récits, devient un lieu de pèlerinage. Par filiation, l’eau de la source, que Sainte Godeleine avait fait jaillir, le jour de son mariage, à Wierre-Effroy, le fut aussi.
Dès le XIe siècle, on atteste d’un pèlerinage qui a lieu, le long de la côte, de Gistel au petit village boulonnais. Aujourd’hui encore en Belgique, une procession se déroule, le dimanche suivant le 5 juillet, dans l’église de Gistel qui abrite les reliques de la sainte. À l’endroit où se trouvait le point d’eau ou le puits, on peut visiter aujourd’hui, la pittoresque abbaye de Ten Putte, traduisez “au puits” en flamand, fondée par Edith en remerciement.
La question de ses cheveux
Une question reste entière : pourquoi un tel comportement envers Godeleine de la part de son mari et sa belle-mère. Pour cette dernière, l’explication, même un peu courte, d’une jalousie viscérale envers une bru qui lui vole son fils peut tenir. Mais comment a-t-elle fait pour convaincre son fils, pourtant si amoureux, de se détourner aussi violemment de son épouse ? S’agit-il simplement d’un comportement donjuanesque, plus intéressé par la conquête que par l’objet de la conquête ? Peut-être… Mais ce n’est pas la seule raison.
Quand, vous serez devant la statue de Sainte Godeleine, regardez bien ses cheveux. Ils sont d’un noir corbeau. Ils attesteraient ainsi des origines romaines de la jeune femme. Or, à cette époque, le sujet est sensible : concevoir un mariage entre une famille noble, issue d’une lignée normande, et des descendants de sang romain, les conquérants du Boulonnais à la chevelure et aux yeux foncés, est plus qu’une mésalliance, une véritable honte. Il y a fort à penser que le prétexte était tout trouvé pour cette belle-mère acariâtre. Personne ne saura jamais ce qu’il serait advenu si Godeleine avait été blonde aux yeux bleus .
Sainte Godeleine s’inscrit dans la tradition des saints sourciers
Godeleine fait donc partie des saints sourciers qui, en plantant leur bâton ou ici une quenouille, font jaillir l’eau du sol. Ce geste miraculeux est évidemment très lié, dans la symbolique, à celui de Moïse. Menant le peuple hébreu à travers le désert, il frappe un rocher de son bâton, et fait jaillir de l’eau. D’autres saints partagent ce pouvoir. C’est le cas notamment, à moins d’une cinquantaine de kilomètres, de Saint Riquier et sa fontaine miraculeuse de Sorrus, près d’Etaples ou Sainte Bertille à Maroeuil. Certains animaux ont aussi ce pouvoir, tel l’âne de Saint-Martin qui à Wulverdinghe est à l’origine d’une source toujours réputée miraculeuse.
Elle n’est pas la seule, d’ailleurs, à voir figurer parmi ses attributs, une quenouille. Sainte Saturnine à Sains-lèz-Marquion, Sainte Geneviève, Sainte Germaine, Sainte Berthe qui, elle, traça avec sa quenouille un sillon au sol pour amener l’eau d’une fontaine jusqu’à son monastère … Et jusqu’à la Vierge, représentée, quelquefois, un fuseau ou une quenouille à la main. Les deux objets assez semblables dans leur forme sont souvent confondus. Mais pourquoi aller planter sa quenouille dans un bois ? Certains narrateurs font écho à une vieille tradition du Boulonnais qui voulait que la jeune épousée aille planter une quenouille sous un chêne.
Le symbolisme de la quenouille
Si on ne retrouve pas vraiment de traces de cette tradition, la quenouille, elle, a toujours joué un rôle important dans les grandes étapes de la vie des femmes. Elle possède de ce fait un symbolisme très sexué. L’emblème de l’organe féminin, celui de la virginité et donc par extension, de la découverte de la vie amoureuse. Il suffit notamment de relire Perrault et sa Belle au bois dormant, tombant dans un profond sommeil de s’être piquée le doigt à l’aiguille d’une quenouille défendue. On sait ce qui la réveilla…
Il n’est pas étonnant alors de la voir présente dans de nombreuses coutumes de mariage et de baptême : offerte à la jeune mariée, échangée, déposée à l’église, plantée aux bords du chemin, elle est toujours le symbole du passage de l'”état” de jeune fille à l'”état” de jeune femme puis de mère. Une femme à qui l’on confère désormais un rôle d’épouse, de mère, de maîtresse de maison, de gardienne du foyer … Une femme qui en filant sagement pourvoit à la subsistance du foyer, au bonheur de sa famille, à la tranquillité de son mari. Bref, filant une vie parfaite. Quant à celles qui “cassaient leur quenouille” selon l’expression consacrée … Je vous laisse deviner.
Pour conclure …
L’histoire de la jeune sainte nous a livré toutes les clés pour comprendre comment s’est forgé le culte de la source miraculeuse de Sainte Godeleine. Une fois encore, réalité et merveilleux, tissent une trame étroite qu’il est difficile de démêler. Mais est-ce le plus important ? L’essentiel est peut-être ailleurs. Notamment dans le processus de naissance des croyances et leur persistance à travers les siècles. Comprendre, ici, à Wierre-Effroy, pourquoi on vient pour la guérison des maladies d’yeux et la réconciliation des couples. Un tandem insolite pour une bien curieuse source. C’était le point de départ de mes questions… À l’arrivée, j’ai découvert un endroit charmant, une histoire attachante, un fait divers tragique, comme on titrerait aujourd’hui. Du récit et des lieux, sont nés ainsi une dévotion profonde, toujours extrêmement vivante.
LA CHAPELLE DE SAINTE-GODELEINE EN PRATIQUE
La chapelle est en accès libre, dans la propriété du restaurant tout à côté. Une adresse sympathique que nous vous conseillons pour prendre un café, boire un verre ou faire une pause gourmande.
- Adresse : 1878 r Sainte Godeleine, 62720 WIERRE EFFROY
- Coordonnées GPS : 50° 47′ 31.40″N – 1°45’4.23″E
- L’entrée du parc où se trouve la chapelle est juste à côté de l’auberge.
- La commune de Wierre-Effroy fait partie de la Terre des 2 Caps
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12 Commentaires
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Hélène
Très joliment contée cette histoire de Ste Godeleine… merci!
Isabelle Duvivier
Un très grand merci Hélène pour votre message. Avec toute mon amitié.
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Isabelle Duvivier
Merci beaucoup pour votre message. Effectivement, très très bonne fromagerie que nous indiquons dans nos bonnes adresses de ventes directes sur place. A noter le distributeur extérieur avec beaucoup de choix et des assortiments lorsque la boutique est fermée.
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Myriam
Bonjour
J’y vais demain ..merci
Dominique Loridan
Merci pour ceux qui entretiennent si bien la Chapelle.Pensez à donner votre offrande lors de votre visite
Maryvonne guarneri
merci connaître l’histoire des légendes est enrichissant pour notre patrimoine
Isabelle Duvivier
Merci beaucoup pour la gentillesse de votre message.
Edith
Nous revenons de wierre Effroy nous avons fait la procession et ainsi connu l’histoire de sainte Godeleine
francine MOUCHIE
je suis allée souvent à la petite chapelle pendant mon adolescence j’ adorais cet endroit maintenant je connais son histoire merci