Il y a toujours ce mouvement d’arrêt, surpris, lorsqu’on débouche sur la petite place du Théâtre. Il est là, immense, imposant, rectiligne et pourtant d’une élégance incroyable. Le rang Beauregard est à lui seul un condensé de l’esprit lillois. Flamand par ses chérubins potelés et ses guirlandes de fruits. Français par cette verticalité classique. Résistant par ses célèbres boulets encastrés dans les pourtours des fenêtres.

Du rang des Détailleurs de Draps au rang Beauregard

décoration des mascarons et chérubins de la façade du rang Beauregarg à Lille

Fermez les yeux. Vous êtes sur la place du Marché, aujourd’hui la place du Théâtre. Nous sommes en 1551. Quatorze grandes maisons à pans de bois remplacent désormais les vieilles échoppes médiévales. Face à elles, le vieux rang de la Poterie qui laissera la place à la Nouvelle Bourse. Entre les deux, un édifice de change construit sous Philippe le Bon (1426). Il est composé au rez-de-chaussée d’échoppes et d’une partie haute sur trois étages assez richement décorés et largement pourvus de fenêtres. Cette conception en belvédère, traduisez « belle vue », « beau voir »… Ou “beau regard” disparaît en 1651. Son nom, quant à lui, perdure et désignera dorénavant notre rang de maisons.

Mais ces maisons encore en pans de bois, mal alignées, biscornues, dangereuses, ne sont plus dans les considérations urbaines naissantes : ordonnancement, symétrie, esthétisme, mais aussi lutte contre les foyers d’épidémie ou d’incendie. Un véritable fléau à l’image de celui qui ravage une partie du quartier le 3 septembre 1545. Un palefrenier met alors accidentellement le feu aux écuries de l’Hôtellerie du Chevalet d’Or, au n° 21 la rue Grande-Chaussée, 230 maisons partent en fumée. Dès 1674, la réglementation lilloise définit les nouvelles règles de construction et d’aménagement. Les plus anciens rangs de Lille sont précurseurs. Le rang Beauregard en épouse les directives.

Un ensemble de maisons réunies comme une seule

vue d'ensemble du rang Beauregard avec ses terrasses de café sur la plus du Théâtre de Lille

Les propriétaires des vieilles maisons en bois du rang Beauregard, essentiellement des marchands, sont invités à faire place nette. Ils devront passer sous les fourches codines d’un magistrat pointilleux. Chaque détail est scrupuleusement noté, calibré, défini. Et même si Lille garde une certaine autonomie dans les décisions d’urbanisme à la différence de villes comme Paris, Lyon, Marseille où l’État royal de Louis XIV contrôle tout… La charte imposée est méticuleuse.

Au final, voici devant vous un ensemble de 14 maisons dressées en 1687 selon les plans de Julien Destrée et mises en œuvre par Simon Vollant, qui accompagne également Vauban dans la conception de la Citadelle de Lille. Julien Destrée, l’architecte de la Vieille-Bourse, juste à côté, construite une trentaine d’années plus tôt.

Même plan rigoureux. Même alignement strict des façades et des hauteurs. Pour le rang Beauregard, le choix s’est porté sur un habitat composé de deux travées, élevé sur 3 étages avec cave et mansarde et l’échoppe marchande au rez-de-chaussée. Les matériaux utilisés sont la pierre pour la partie basse et la brique pour les murs.

Des anges comme gardiens, des boulets comme symbole

gros plan des mascarons avec les anges et les boulets sur la façade du rang Beauregard de Lille

L’uniformité imposée oblige les architectes à une astuce visuelle pour marquer les limites de propriété : pour le rang Beauregard, se servir des mascarons qui ornent le haut des travées. Un visage alterne avec deux têtes d’angelots en face-à-face. Ils indiquent ainsi de part et d’autre les différences de foncier. Un principe également utilisé sur le rang dit des Angelots (1677) à l’angle de la rue de la Bourse et la rue Lepelletier. Dos à dos, ils séparent deux habitations. Face à face, les chérubins désignent la même propriété.

vue du siege de Lille peint par Watteau
Le siège de Lille par l’armée autrichienne en 1792 peint par Louis Joseph Watteau. A droite, gros plan sur ces fameux boulets qui resteront dans la mémoire des Lillois.

Enfin, s’il y a bien un détail particulièrement insolite dans ce superbe ensemble architectural, ce sont bien ces fameux boulets éparpillés sur la façade du Beauregard. Mais pas que. Vous en trouverez également dans le rang de la rue de la Bourse et même dans les premières maisons de la rue de la Monnaie. Ont-ils à ce point menacé les habitations que personne n’osât aller les décrocher ? En réalité, non. Ils ont été incrusté en souvenir du siège de Lille pat les troupes troupes autrichiennes du 29 septembre au 6 octobre 1792. Un déluge de feu s’abat sur les quartiers périphériques de la ville, épargnant en fait le centre. La technique de chauffer les boulets pour les rendre incendiaires restera dans l’expression “tirer à boulet rouge”.

Le Moulin d’Or, la façade mythique et son boulet rose

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Le malicieux boulet au-dessus de chez Morel…

Enfin, impossible de ne pas terminer ce parcours visuel sans dire un mot sur la superbe devanture ancienne “chez Morel”. Ouverte en 1813, le Moulin d’or est alors spécialisée dans le linge de maison et le tissus puis après guerre un magasin de lingerie pour femme. Dans les années 2000, il devient un des cafés emblématiques de Lille avec en point d’orgue, une scène de Bienvenue chez les Ch’ti tournée sur place. Depuis, le Moulin d’Or a entièrement fait peau neuve. Le joyeux bric à brac sorti tout droit des greniers du vieux magasins a laissé place à une ambiance stylée. Reste l’irrévérencieux boulet rose transformé en sein par Bernard Morel lors de la rénovation du rang de Beauregard en 1997. Il est le dernier témoin de cette longue histoire des canons… de la beauté, cette fois !


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